Souvenir d’une écolière

Claire Garsault : Le premier travail du lundi

 

 

 

 

 

 

 

C’est, d’abord, l’ancienne plume parfois cassée, parfois trop écartée,  que l’on retire dans un effort délicat, armé d’un coin de buvard, du porte-plume en bois rouge écaillé par les heures passées dans la trousse et par celles où l’on a mâchouillé le bout en attendant l’inspiration.

Puis vient le moment de l’ouverture de la boite rouge, verte et dorée où s’étale glorieusement en caractères manuscrits la marque Sergent major. Chacun avait sa préférence, l’étroite ou la large.

Le doigt se promène entre les plumes argentées pour ressentir leur douce fraîcheur ; il est celui qui désignera le futur compagnon scripteur.

Cette nouvelle plume porte l’espoir d’une nouvelle vie d’écriture, plus facile.

La plume est enfin choisie. C’est, avec l’appréhension des premières fois que le pouce, l’index et le majeur l’insèrent dans l’embout métallique en forme d’arc de cercle.

La manœuvre n’est pas toujours aisée, et il faut parfois, s’y reprendre à plusieurs fois. Il est important que l’équilibre entre le porte-plume et la plume soit parfait afin qu’elle puisse glisser aisément sur la feuille de papier glacé.

Pendant qu’un autre élève parcourt chaque rangée armé de la bouteille violette au bec verseur chargé de remplir chaque encrier, on teste la souplesse de la nouvelle plume. Elle doit être d’une résistance souple : trop souple elle risquerait de provoquer les pâtés traqués rageusement par l’enseignante pour lui permettre d’écrire dans la marge son « travail de cochon » tant redouté ; trop rigide, elle s’accrochera au papier et fera cette échancrure infâme buvant l’encre avec délectation qui justifiera la même remarque désobligeante.

Le moment le plus attendu de tous ces préparatifs ritualisés arrive enfin : Après avoir inspecté d’un œil d’expert la nouvelle plume, elle est portée avec une délectation anticipée à la bouche. La langue ose s’avancer, la plume est posée dessus, les yeux se ferment pendant que la bouche, elle, se referme sur l’objet. Un court moment est ressenti un plaisir indicible provenant du mélange du froid et du goût du métal. La langue passe et repasse sous la plume. Juste le temps qu’il faut pour ne pas s’attirer le regard moqueur de ses camarades ou celui, réprobateur, de l’enseignante.

La plume est prête. Elle se dirige vers l’encrier de porcelaine blanche rempli à ras bord de l’encre nouvelle. Elle se trempe avec précaution dans le bain violet et s’essuie délicatement sur le bord large de l’encrier.

Armé de cette nouvelle arme anti-faute, vous écrivez à trois carreaux de la marge :

Dictée.

 

Cet article a été publié dans sensations. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s