Ce livre d’entretiens surprendra sans doute les jeunes cinéphiles qui n’auraient pas entendu parler de Pierre Rissient et ignoreraient les multiples activités que celui-ci mène depuis soixante ans. L’homme, cinémane infatigable, éminence grise et entremetteur prolixe, accessoirement scénariste et réalisateur, s’est démené sous toutes les latitudes pour la cause du 7ème art, a hanté tous les festivals, et connu tous ceux qu’il importe de fréquenter dans le monde du cinéma. Celui que son ami Clint Eastwood a surnommé « Mr. Everywhere » possède de multiples cordes à son arc, et tant de visages qu’il a choisi… Robert Redford pour l’incarner en couverture.
C’est peut-être en commençant par l’attachant récit de ses années de jeunesse qu’on saisira le mieux sa personnalité. Le besoin de convaincre le lecteur n’ayant pas encore émergé en lui sous la forme impérieuse, catégorique, qu’il prit souvent, nous découvrons avec plaisir un lecteur omnivore, passionné de poésie, dont nous nous demandons finalement si ce n’est pas davantage en poète (frustré ?) qu’il a souvent appréhende le cinéma, plus sensible à ses fulgurances qu’à la rigueur de ses architectures scénaristiques, à la cohérence du jeu, etc. Un attachement fervent, mais jamais clairement défini à la « mise en scène » a constitué l’alpha et l’oméga du « macmahonisme ». Rissient fut la figure la plus active de cette mouvance (école, secte, chapelle ? je vous laisse le choix)dont l’influence serait restée infinitésimale sans son éloquente conviction. Plus que par des écrits ou un travail critique suivi et structuré, c’est par la parole que Rissient amena la critique française (ou plutôt parisienne) à s’intéresser à quantité de cinéastes que celle-ci sous-estimait ou méconnaissait. Les plus évidents furent Walsh, Preminger, Losey, le Lang américain. Le travail accompli à cette époque ne saurait être contesté. On l’apprécierait encore plus s’il ne s’accompagnait de rejets abrupts qu’il serait fastidieux de lister (Hitchcock et Welles sont deux exemples notoires du bêtisier macmahonien où l’on voit aussi ériger en chef-d’œuvre « Les Aventures d’Hojji Baba ».)
Devenu attaché de presse, Pierre Rissient accomplit avec Bertrand Tavernier un travail considérable qui ne devrait pas occulter celui, bien plus structuré et argumenté d’un Simon Mizrahi pour le cinéma italien, ou de Jean-Claude Missiaen. Aujourd’hui, l’information passe par d’autres canaux que la presse écrite, et la cinéphilie se nourrit ailleurs. Elle est plus dispersée, mais peut juger sur pièces, et s’en laisse moins aisément conter. Adieu, gourous d’antan un rien terroristes, adieu, chapelles et batailles d’Hernani… Une page s’est tournée, et c’est avec un sourire indulgent que nous saluons cet âge héroïque dont Rissient demeure une figure clé. Nul ne peut blâmer celui qui s’attache à faire aimer découvrir…
Olivier Eyquem
Pierre Rissient : MISTER EVERYWHERE. Entretiens avec Samuel Blumenfeld, avec la participation de Marc Bernard. Préfaces de Clint Eastwood et Bertrand Tavernier. Institut Lumière/Actes Sud, 2016, 23 €