Patricia Losey a partagé la vie de Joseph Losey à partir d’EVA et jusqu’à son décès. Durant ces vingt-deux années, les vies privées et professionnelles du cinéaste et de sa compagne, épouse, assistante, traductrice et collaboratrice furent étroitement mêlées, et c’est de cette imbrication que le témoignage, souvent décousu, de Patricia tire son intérêt, charriant en son sillage quantité de faits « vécus », notés sans réel souci de synthèse. Le lecteur est appelé à ratisser large et à faire preuve patience pour ne pas laisser échapper les anecdotes et touches « d’ambiance » les plus intéressantes. Il découvrira ainsi sur le vif les tournages idylliques d’ACCIDENT et THE SERVANT, les rencontres et les amitiés durables que la narratrice noua avec des hommes aussi précieux que Dirk Bogarde ou Harold Pinter, la fidélité de Jeanne Moreau, les caprices d’une Monica Vitti, les empoignades du couple Burton/Taylor… Tout en veillant scrupuleusement à préserver l’intimité de son couple, Patricia Losey livre bien des éléments éclairants sur la personnalité complexe et tourmentée du cinéaste. On croyait les pires années de combat closes avec la fin de la Liste Noire et l’adhésion naissante du public français puis international, mais on découvre que les tourments n’ont fait que se déplacer : escarmouches avec les producteurs d’EVA et MODESTY BLAISE, lutte vaine contre infamant certificat X de la censure britannique attribué à POUR L’EXEMPLE, efforts héroïques pour faire aboutir les projets PROUST et AU-DESSOUS DU VOLCAN. Les problèmes de santé récurrents, l’alcool omniprésent, les angoisses, les démêlés avec le Fisc, le spectre de nouveaux exils, des conflits jamais résolus avec sa mère font de la vie de Losey un champ de mines, et l’on admire d’autant plus sa formidable énergie, sa rigueur intellectuelle, son aptitude à obtenir le meilleur d’un Gerry Fisher, d’un Harold Pinter et de certains labos, reconnaissants de se voir offrir l’occasion de se surpasser.
La stature posthume de Losey nous a fait oublier les incertitudes, les passages à vide critiques des années soixante et soixante-dix : EVA fut très mal reçu et abondamment coupé, l’admirable SERVANT fut, contre attente, tièdement accueilli, de même qu’ACCDENT et MONSIEUR KLEIN, qui figurent sans conteste parmi ses grandes réussites. DON GIOVANNI fut sauvagement éreinté à New York, etc. Patricia Losey consigne objectivement ces faits et nous rappelle à bon escient que rien n’est jamais gagné… ni perdu dans une vie d’artiste, aussi chaotique soit-elle.
Olivier Eyquem
N. B. Un mot pour regretter que le travail éditorial soit aussi relâché : traduction gauche, imprécisions, abondance de coquilles…
Éditions L’Age d’Homme, 2015, 512 pages, index, 22 €