Gilbert Salachas : « Délices de la mémoire »
(Une consolation : Jerry voit FLOU, lui aussi)
Enfant, j’avais une très bonne mémoire. Il me souvient de n’avoir pas besoin, à l’école communale, de copier l’emploi du temps inscrit sur le tableau noir parce que je l’avais enregistré dans ma tête. Les textes français (et même latins) appris par cœur étaient facilement mémorisés.
Cette faculté s’est prolongée jusqu’au début de l’âge adulte. Après, ça s’est dégradé imperceptiblement d’année en année. Aujourd’hui j’aurais plutôt une grande faculté d’oubli. Mon passé est plongé dans un brouillard plus ou moins épais. Des détails surnagent, des faits importants disparaissent. C’est fou ce que c’est flou. C’est un peu la raison pour laquelle je consigne ici tout ce que je peux avant qu’il soit trop tard. Ce que je suis en train d’écrire.
D’un côté, c’est agaçant d’oublier. On the other hand, c’est agréable parce que ça ménage le plaisir de la redécouverte. Quand je revois un vieux film, par exemple (même un pas si vieux), j’ai l’impression de voir un film nouveau, avec en plus cette drôle de sensation d’anticiper certains épisodes.
Je rêve d’une découverte qui me restituerait tous les souvenirs de toute ma vie, une sorte de magnétoscope, ou phone, qui permettrait de tout revoir et réentendre, depuis la petite enfance. La science ira-t-elle jusque là ? On ne sait jamais avec la science.
En attendant, je ne sais plus ce que j’ai fait hier!
Les délices de la mémoire, c’est la nostalgie. J’ai oublié les visages, les voix, les faits et gestes, mais je me revois à l’époque ou j’ai vu et vécu ces choses et gens oubliés. C’est le syndrome des vieux films. Quand on les revoit, on se revoit à l’époque où on les avait vus. De même pour les chansons, les musiques, les odeurs. On retrouve une part d’innocence. Est-ce assez clair ce que j’essaie d’exprimer là ? L’innocence est un état de grâce. « Devenir homme, c’est tomber de haut » dit Félix Leclerc.