Trois regards sur LA BIBLIOTHÈQUE : 3. la bibliothèque d’Alain

Claire Garsault célèbre la bibliothèque de son mari…

Les légendes ont la vie dure dit–on.

Pourtant, toutes ont un fond de vérité…

La légende familiale Garsault veut que lorsqu’Alain vint partager ma vie, il avait pour tout bagage  cinq chemises, deux pantalons et une veste en cuir. Cela est un peu exagéré, mais quand même pas très loin de la vérité !

Il était à peine installé dans mon quatre-pièces, que j’ai vu arriver des dizaines de caisses de livres qui avaient encombré pendant quelques années la cave d’un ami.

Dans une des pièces trônait mon métier à tisser. Il  fallut faire un choix : l’artisanat contre le monde intellectuel. L’homme était si amoureux de ses livres que le choix fut vite fait. Mon métier démonté et  vite remplacé par des étagères  faciles à monter car « homo intellectus » n’était pas bricoleur, voire dangereux armé d’un marteau. Je me souviens d’un superbe ongle de pouce noirci par un dernier coup donné sur une étagère, si simple à monter qu’un enfant aurait su le faire : des montants avec tétons et la planche et ainsi de suite… et pourtant !

On m’avait permis d’utiliser un petit espace dans cette pièce pour y installer mon bureau, mais très vite, si je pouvais laisser mes livres dans la pièce, la table de la salle à manger est devenue ma table de travail.

Qu’importe ! Cela me paraissait naturel. Il fallait le voir déballer chaque carton avec la plus grande précaution, vérifier que chaque livre n’avait subi l’outrage de la cave et me le montrer avec autant de plaisir qu’un enfant qui ouvre ses cadeaux de Noël « Celui-ci est une édition rare… Celui-là est introuvable et celui-ci… et celui là… »

 

Puis, vint l’étape délicate du rangement. Il fallait que chaque livre soit à sa place, rangé alphabétiquement et par thème, même à l’intérieur de chaque domaine. Et on l’entendait râler contre ces « fichus » bouquins qui étaient incapables de rester en place, qui tombaient …  Tout était à recommencer lorsqu’il découvrait des livres qui devaient rejoindre la rangée si soigneusement agencée.

Des heures, des jours passent avant qu’enfin il obtienne son ordre parfait.

Ce manège a été répété trois fois. A chaque fois avec plus de livres donc, plus de caisses. A chaque fois,  comme un fait exprès, l’endroit choisi pour faire le bureau était en étage. Des concours de « portage » se faisaient entre les déménageurs ; Remplir une caisse de lainages, récoltée devant un magasin, pleine à ras-bord de magazines, et il y avait de quoi rendre son bulletin de naissance… mais l’envie du pari dépassait la raison.

Pour le dernier bureau, il a fallu faire des étagères sur mesure. La pièce était en soupente, mais l’homme s’y sentait bien. Pendant les seize années où il a régné  sur son monde de livres, on a vu peu à peu s’étendre, hors bureau, les étagères. Tout d’abord sur le palier, où se sont installés ses livres policiers, puis dans les combles qui avaient servi, un temps, de salle de jeux aux enfants. Là, se sont installées les revues de cinéma, d’érotisme, de langue anglaise …, les cassettes, soigneusement enregistrées par le beau-père lors des projections du Cinéma de minuit ou sur Canal.

La cave avait été aussi progressivement envahie par les archives, ses anciens textes tapés à la machine sur du papier pelure ; les premiers numéros de « Positif » et ceux de la revue « Fiction ». Plus quelques livres récupérés de ses parents ou d’amis généreux mais qu’il n’avait pas choisis et des livres médicaux

Lors de ces migrations, certaines étagères se trouvaient libérées de leur charge, mais cette libération n’était que de courte durée, car l’homme n’aimait pas le vide.

Dans un petit carnet, étaient notés soigneusement les futurs achats. Alors, il partait en chasse chez les bouquinistes ou dans les brocantes. La recherche était chez lui un art consommé : dans son cartable, des sacs en plastique bien solides en prévision de ses futurs achats, ses gants en cuir choisis avec soin, provenant d’une boutique américaine des Halles.

Une fois toutes ses conditions réunies, la traque du livre pouvait commencer. La boutique choisie, il fallait en premier lieu fouiller dans les caisses installées à l’extérieur.  Une main droite élégante, rapide et sûre d’elle déplaçait chaque livre, tandis que la gauche était prête à garder jalousement le « trésor » trouvé. Chaque caisse était passée au crible. Même celle qui  n’était pas susceptible de contenir le livre recherché, un mauvais classement était toujours à envisager.

Puis, c’était l’entrée dans la boutique. Là, la chasse continuait dans les caisses. Les étagères étaient peu consultées, les prix n’étant pas intéressants.

Cette fouille méthodique était aussi opérée dans les rayons des occasions de la FNAC ou de  Virgin.

Le trésor ainsi amassé devait attendre le week-end suivant avant de trouver sa place sur les étagères. Il nécessitait une importante réflexion quant au thème, à l’auteur et surtout il était peut être celui qui allait provisoirement détruire tout le bel agencement, et donc nécessitait une analyse du terrain.

Le monde moderne avait peu à peu atteint l’homme, par l’intermédiaire d’Internet, il parcourait les sites d’occasion et même suprême progrès s’était inscrit à livreenpoche et Eklectik-librairie.

Un store saumoné avait très vite été installé sur le chien assis. Dès que les premiers rayons de soleil commençaient à poindre leur nez, il était automatiquement fermé, il ne fallait pas que les précieux livres souffrent de la dégradation du temps.

 


Entrer dans le bureau du Maitre, comme se plaisaient à dire certains amis, c’était comme pénétrer dans un lieu sacré. Chaque meuble, chaque objet avait sa raison d’être. La porte à peine franchie, on se retrouvait nez à nez avec sa table de travail, toujours impeccablement rangée. Si on ne le trouvait pas assis sur sa chaise totalement incommode, il fallait faire un quart de tour à gauche et on le trouvait confortablement installé dans son fauteuil Voltaire, le mot confortable étant à mon avis très surfait lorsqu’on parle d’un Voltaire. Lui qui rêvait posséder un jour un Eames ! Pourtant, face au Voltaire se trouvait un confortable fauteuil de tapissier. Mais non, c’était dans ce Voltaire qu’il s’offrait ses moments de lecture et ses siestes.

Une fois installé, il avait à sa gauche ses dictionnaires, le Furetière, le Robert, et autres dictionnaires de la langue française. Derrière lui le radiateur, sur sa droite sous la fenêtre, sa collection d’hippopotames et dans les étagères : la poésie.

Puis venait son coin personnel : sa table, où reposait son téléphone rétro ; sa lampe avec son pied pistolet, ses mouchoirs en papier et son cendrier Hippotamus dans lequel ne trainait que des piques indiquant la cuisson de la viande.

Il y avait aussi quelques disques et, une chaîne, de laquelle sortaient rarement des sons : L’homme avait besoin de silence pour profiter pleinement de son univers.

Derrière la table de travail, il pouvait retrouver ses romans français, choisis avec un soin particulier (pas question d’avoir une littérature ´ »eau de vaisselle »), sa litt »rature allemande, anglaise, italienne, latine et grecque

Puis venait tout le pan du cinéma. Avec des raretés, disait un ami.

Derrière la porte, on pouvait consulter tous les ouvrages critiques ayant trait à la littérature française.

Il n’était pas rare qu’un même ouvrage se retrouve en plusieurs éditions, lorsque l’intérêt de la préface le justifiait.

Sur le palier on trouvait les policiers et quelques fantastiques.

La majorité du fantastique de la science-fiction se trouvait dans la chambre. Il est vrai que je partageais cette passion et avais donc eu le droit de me les approprier d’une certaine manière.

Chaque domaine littéraire avait son emplacement. Chaque livre avait sa place, si bien que, si par hasard, un de ses livres avait été emprunté sans son autorisation, il pouvait le ou les nommer.

Pendant son séjour à l’hôpital, il avait été capable de situer géographiquement chaque livre que nous devions lui apporter.

Toute sa bibliothèque était en lui. C’était lui.

 

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