CE N’EST QU’UN MAUVAIS MOMENT À PASSER (MAIS, PAS DE BRESSON, SVP!)

Je n’ai pas peur de la mort, mais je redoute ce court laps de temps qui la précède, durant lequel toute ma vie est censée défiler devant mes yeux.

D’abord parce que je m’ennuie à la plupart des remakes. Ensuite, parce que revivre certains moments pénibles peut seulement les rendre doublement éprouvants.

Supposons que je doive – j’en frémis déjà! – visionner en temps réel UN CONDAMNÉ À MORT S’EST ÉCHAPPÉ de Robert Bresson, qui m’avait tétanisé à 14 ans. Croyez-vous que dans, mettons, vingt ans, il se sera vraiment bonifié, et que les interminables intromissions de la petite cuillère dans le trou de la serrure me paraîtront moins mollasses? J’en doute, et cette fois, je n’aurai même pas la ressource de quitter la salle.

Il y a aussi plusieurs séances chez le dentiste dont je me passerais volontiers, des repas de noces ou de famille, un ou deux enterrements dont j’aimerais être dispensé.

Pour ce qui est de mes années de lycée, c’est simple : je ne veux garder que les meilleurs échanges avec les copains, mais aucun cours de maths ou de géo, aucune heure de gym ou de piscine (Molitor est maintenant fermée depuis plusieurs années, et je m’en félicite). L’allemand, je suis preneur ne serait-ce que pour réviser l’emploi de l’accusatif. L’anglais, bien sûr, et le français, à l’exclusion de la POÉSIE, s’il vous plaît, pour une raison qui tient à un nom, un prénom et une particule : De Vigny, Alfred, et à un titre, « La Mort du Loup ». Quel sombre crétin, quel fonctionnaire sadique du Ministère de l’Éducation nationale a-t-il pu penser que des garçons de douze ans avaient quelque chose à retirer de ce lugubre poème? J’étais alors tellement convaincu de son inanité que j’avais décidé de ne pas l’apprendre. Je fus, bien sûr, appelé au tableau pour en réciter quelques vers. Là, sous les yeux hilares de mes potes, j’essayai d’expliquer la raison de mon opiniâtre refus. L’immortel Bartleby, soutien de toujours, aurait été fier de moi, mais le prof, loin de me féliciter, me flanqua un zéro. J’eus au moins la vague satisfaction de lui avoir tenu tête, les bras croisés sur le torse dans une posture rebelle qui ne manqua sûrement pas de l’impressionner en secret. Maigre récompense…

Pour résumer, je ne rechigne pas à assister à la dernière projection de ma modeste vie, mais à condition de déterminer moi-même le choix et le montage des séquences, et de pouvoir pratiquer toutes les coupes qui rendront le film plus digeste et plus dynamique.

Est-ce trop demander?

Olivier Eyquem

 

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Un commentaire pour CE N’EST QU’UN MAUVAIS MOMENT À PASSER (MAIS, PAS DE BRESSON, SVP!)

  1. J’aimerais bien revoir en accéléré, ou au ralenti, « The Deer Hunter »…

    Mais le Bresson de « Pickpocket » ou de « Au Hasard Balthazar » n’a pas pris une ride.

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