Il est des moments de vie qui restent en mémoire.
Il est des instants de vie que l’on voudrait retrouver.
Il est des secondes de vie que l’on aimerait revivre quelles qu’elles soient parce qu’elles sont une tranche de la vie, une tranche particulière.
Certes, il y en a d’autres qui restent dans le cœur plus que dans la tête, mais que l’on aurait souhaité ne jamais vivre donc encore moins revivre.
J’ai vécu ces moments particuliers où le monde environnant n’existait plus, où seule l’intensité de l’instant avait de la valeur. Un de ces temps de vie qui reste à jamais gravé dans la mémoire.
Le premier qui me revient en mémoire se passait dans les montagnes, en Isère, lors d’un séjour dans le chalet d’un ami, connu lorsqu’il était le moniteur de ski d’une de mes classes découvertes. Il aimait bien les Parisiennes un peu « nunuches écolo » prêtes à garder ses moutons, nourrir ses poules ou cueillir et équeuter ses haricots verts qu’il congelait si soigneusement pour sa consommation hivernale personnelle.
Si les mecs de la montagne n’ont pas un caractère facile voire un peu ours, celui-là nous offrait l’opportunité de passer quelques jours dans un coin superbe. Cela valait bien quelques « sacrifices » voire une exploitation certaine !
Ce soir-là, toute la troupe – nous étions sept à loger au chalet, dont 4 Parisiennes rencontrées sur les pistes et le frère d notre hôte -, était partie vaquer en ville ; seuls restaient le maitre des lieux et moi.
La nuit était tombée, les poules étaient rentrées. La cheminée crépitait gentiment diffusant une douce chaleur, exhalant l’odeur agréable du bois libérant toute sa résine dans la pièce unique qui servait de cuisine, de salle à manger, de salon de réception, et de cabinet de toilettes. Les chambres, disons plutôt des dortoirs étaient à l’étage et il fallait passer par l’extérieur, emprunter un escalier qui aurait demandé une vraie reprise en main, tant ses marches de bois avaient subi les assauts météorologiques.
Notre hôte était attablé sur la toile cirée aux couleurs passées lisant le journal du jour ; je venais de finir d’éplucher les légumes et les avaient jetés dans l’eau bouillante destinée à préparer la soupe du soir ; je m’étais assise en face de lui, toujours vêtue d’un tablier trop grand pour moi, reprenant mon livre.
Le silence régnait entre nous, mais aucune parole n’était nécessaire ; la chaleur de la pièce nous enveloppait, nous étions comme dans un cocon de bien-être. Il y avait comme une complicité entre nous, comme une ambiance de plénitude qui aurait été brisée et même dénaturée par des paroles inadaptées.
Plusieurs minutes passèrent sans que rien ne vienne troubler ce moment particulier.
Une voiture fit crépiter les graviers du chemin. Les autres étaient de retour.
Le maitre des lieux me dit : « Dommage, on était bien ! »
Cette entente, ce moment de bonheur absolu, je l’ai souvent retrouvée avec mon mari et, ces instants particuliers presque indescriptibles sont des moments de pur bonheur.
C’est la montagne qui m’a apporté des moments forts en émotions et en sensations. Il me revient un moment qui fut douloureux et angoissant mais qui reste un superbe moment de victoire.
Comme dit plus haut, les mecs des montagnes ne sont pas des hommes faciles à vivre, et ce moment de plénitude passé, est arrivé le moment de discorde. Une dispute toute bête : j’avais espéré qu’il me donne un ballot de laine de ses moutons qu’il venait de faire tondre.
Il me fallait donc éviter de rencontrer l’homme des montagnes tout en conservant les relations amicales que j’avais tissées avec les autres membres du groupe.
Les Gremen étaient aussi des bergers, et en été, on montait les animaux dans les hauts pâturages. J’avais essayé d’être bergère, mais ce ne fut qu’un grand moment d’angoisse quand le troupeau derrière moi me donnait l’impression d’attendre le moment de ma chute afin d’organiser mon piétinement … J’en suis sûre, je l’ai lu dans leurs yeux !
Il fallait que j’explique la dispute avec le « grand chef », dispute stérile et insignifiante mais dispute quand même à l’un des membres du clan. Donc pour rétablir la vérité et justifier mon départ du chalet, je suis montée au refuge avec ma 4 L et mon chien.
Pour éviter toute rencontre inopportune, j’avais garé ma voiture loin du refuge près d’un grand champ laissé en jachère. Je l’avais contourné à pied avant de rejoindre le petit chemin qui menait au petit chalet.
La discussion allait bon train, si bien que nous n’avons pas vu la nuit tomber…. Nous avons été rappelés à la dure réalité lorsque nous avons entendu une voiture monter… Le bruit était caractéristique, la montée était rude et les moteurs surchauffaient. Etait-ce lui ? Il ne fallait pas prendre le risque de me retrouver nez à nez avec mon ex ami ; il fallait que je parte mais sans utiliser le chemin habituel qui me ramènerait à ma voiture.
Il ne me restait plus qu’à traverser le champ. C’était le plus simple ; en ligne droite je retrouverai ma voiture.
La nature ne m’a pas doté du sens de l’orientation, et ce soir là la nature m’avait encore compliqué la vie en étant une nuit sans lune.
Départ précipité du chalet, mon chien en laisse pour être sûre qu’il ne reprendrait pas, par habitude, le petit chemin. Direction le champ et d’après ma logique, il fallait que nous allions tout droit et au bout du champ à gauche et nous retrouverions la route et la voiture.
C’est donc d’un pas décidé, tirant mon Chilpéric, qui comme tout fox terrier était une tête de mule, et ne comprenait pas le pourquoi de cette expédition nocturne à travers le champ alors que le chemin recelait tant de bonnes odeurs connues et rassurantes.
Les premiers mètres dans le champ me parurent faciles ; si ce n’est Chilpéric qui continuait à faire sa mauvaise tête. Il me fallait à chaque pas m’assurer de l’état du terrain et trainer le réfractaire à l’aventure.
Un obstacle se dressa sous mes pieds, ma main reconnue un gros tronc couché. Il me fallait l’enjamber tout en tirant mon chien. La manœuvre ne fut pas facile ; une perte d’équilibre me permit de me retrouver à quatre pattes, mais apparemment, j’avais passé l’épreuve sans trop de bobo…
C’est ce que je crus.
Je ne comprenais pas pourquoi il me semblait tirer un poids mort…. Un petit retour en arrière en me servant de la laisse comme guide me permit de retrouver mon chien inerte… Ma main tremblante chercha dans ses poils la place du cœur mais je me contentais de sentir ses côtes se soulever régulièrement. Chilperic avait été entrainé dans ma chute et s’était cogné contre le tronc.
Je pris donc mon chien dans mes bras, refis la manœuvre du franchissement de tronc et continuait vaillamment la quête de ma voiture.
C’est qu’il était lourd, le bougre ! De plus, le terrain commençait à devenir marécageux, je m’enfonçais à chaque pas un peu plus….
La panique s’empara de moi. Il me fallait trouver un endroit sec où nous puissions passer la nuit et attendre les premières lueurs du jour pour essayer de se repérer dans cet univers bourbeux.
Chilpéric commençait à s’agiter dans mes bras, mais vu l’état du terrain il me semblait difficile qu’il puisse avancer sans encombre.
Le temps me semblait long, la traversée du champ qui aurait dû, d’après mes calculs, ne durer qu’un quart d’heure devait maintenant facilement atteindre l’heure.
Je ne savais plus dans quelle direction aller….
Des sanglots nerveux me parcouraient le corps, la désespérance m’envahissait. Aucun repère visuel, les pieds trempés, un chien qui s’alourdissait à chaque pas dans les bras….
Mon regard fut attiré par une tache blanche zébrée…. Je n’osais espérer, mais je décidais d’avancer dans cette direction….
Ma voiture ! C’était ma voiture derrière des arbres ! Toujours le chien dans les bras, je me mis à courir vers elle. J’étais sauvée!
Claire Garsault