« À POIL PENDANT TOUT LE FILM! »

« Qu’est-ce que tu racontes? Arrête un peu! »

« Je vous jure. Je l’ai vue hier « Elle » est  à poil du début à la fin. »

Un petit groupe s’est agglutiné autour de « l’expert », premier de notre terminale du lycée Claude-Bernard à avoir joui de ce spectacle. Cela fait belle lurette qu’Ulla Jacobson dans « Elle n’a dansé qu’un seul été », le décolleté de Lollobrigida dans « Fantan la Tulipe »  et  les cuisses charnues de Mangano dans « Riz amer » nous laissent froids. Mais avec ELLE, nous tenons un nouveau sex-symbol français qui ne tardera pas à éclipser Martine Carol, Françoise Arnoul…

Je LA suis dévotement, le cœur battant, depuis mes treize ans. Je suis mûr pour franchir une étape décisive de notre relation virtuelle.

Cette année-là, j’ai encore dû subir (grand-mère oblige)  un insipide Fernandel, une série de documentaires ethnographiques et, last but not least, le sirupeux « L’Eau Vive » de François Villiers, dont la chanson de Guy Béart me donne la nausée.

Huit jours après ce nouvel affront artistique, je repère une salle des Grands Boulevards, où je pense avoir une chance de passer le contrôle en dépit de mon allure juvénile. Je vais maquiller ma carte d’identité scolaire pour me donner un an de plus, mais mon amateurisme fait pitié. Le « corrector » trace un halo baveux  sur mon année de naissance « rectifiée », les coups de grattoir nerveux parachèvent le désastre. Qui peut bien se laisser abuser par une tel document?

Pourtant,  il n’est pas question d’attendre d’avoir l’âge légal. Quitte à être refoulé, voire embarqué, il me faut voir ce film. Je fais nerveusement les cent pas devant cette salle d’un quartier réputé « chaud », puis me présente  au guichet quelques minutes avant le début de la projection. Entre-temps, j’ai pu constater que j’étais le seul jeune à tenter le coup, ce qui n’est pas pour me rassurer. « Vous avez votre   carte ? » Je sors  le précieux Sésame. La caissière y jette un coup d’œil averti, feint de n’avoir rien remarqué, et me laisse passer. (Madame, si vous êtes en vie et lisez ces lignes, sachez que je ne vous remercierais jamais assez : vous avez boosté ma cinéphilie, et dissuadé de devenir faussaire.)

Encore quelques secondes d’entracte dans pénombre protectrice, puis les grands rideaux se velours s’ouvrent sur les premières images de ET DIEU CRÉA LA FEMME.

Mais je vois-je? Ou plutôt, que ne vois-je PAS? Un dos nu, une fesse parcimonieusement dévoilée en un timide profil, une ombre chinoise sur un drap,  puis Juliettte/Brigitte minaudant, un drap remonté jusqu’aux aisselles. De qui se moque Vadim? Plus tard, il y aura une blouse mouillée moulant une glorieuse paire de seins, un drap de lit « artistement » étalé sur le lit nuptial. ET C’EST TOUT!

Le lendemain, j’aurais pu aisément dénoncer l’imposture du copain qui voyait « nu » à tout bout de champ, mais j’avais mieux à faire pour assurer ma gloire : depuis peu, la classe comptait sur moi pour faire circuler mon exemplaire de « Histoire d’O », acheté sous le manteau…

 

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