Orchis vanille! Ce nom de fleur, que j’avais cru rayer de ma mémoire depuis des décennies, m’est soudain revenu en pleine nuit, la semaine dernière, et j’ai su instantanément pourquoi je détestais les maniaques des herbiers et les chasseurs de papillons, les collectionneurs de coquillages et les Tartarin de tout poil qui accrochent à leurs murs des têtes de lions ou d’antilopes.
Retour en arrière : Morzine, été 1957. J’ai treize ans, mes parents m’ont confié pour le mois de juillet à ma grand-mère paternelle, qui a également la charge de ma jeune cousine. Nous sommes logés à l’hôtel « Chez Nous », que tiennent deux charmantes demoiselles d’âge mûr. Ambiance familiale, bien trop farniente pour moi qui ai pris à cinq ans l’habitude de crapahuter dans la montagne dès le lever du soleil et de ne revenir au « camp de base » qu’en fin d’après-midi. Ici, l’on s’ennuie ferme toute la matinée à jouer au ping-pong ou au volant, et l’après-midi n’est guère plus athlétique car ma chère aïeule abuse du télésiège, flâne le long des chemins et entend que chaque sortie soit éducative. J’ai hérité, côté maternel, d’habitudes très strictes concernant la pratique de la montagne : on part tôt, on ne bavarde pas, on s’arrête brièvement pour reprendre son souffle toutes les 10 minutes, on observe une pause de 5 minutes par demi-heure, etc. Pour que l’exercice soit aussi profitable physiquement que mentalement, il doit s’accomplir sur un rythme aussi uniforme que possible, et de façon quasi continue jusqu’à l’heure du casse-croûte, qui marque la fin de la montée, l’après-midi étant réservé à la descente pour ne pas nuire à la digestion.
Or, pour ma grand-mère, tout est prétexte à s’arrêter pour admirer non pas le paysage (guère palpitant en été dans ce coin de Haute-Savoie), mais la FLORE. S’il y a une chose qui m’indiffère depuis toujours, ce sont les petites fleurs ; mon intérêt commence à l’arbre. Qu’importe, nous ne sommes pas là pour nous distraire, mais pour nous instruire. Ma cousine et moi sommes partis de l’hôtel avec chacun son herbier à la main, et nous voilà sommés de repérer les différentes espèces rencontrées en chemin, d’en prélever soigneusement un échantillon, de l’insérer entre deux pages, en attendant de le coller et de le légender le soir à l’hôtel.
Inutile de dire que je n’ai eu qu’une hâte, sitôt rentré à Paris : flanquer à la poubelle ce maudit herbier, qui symbolisait à lui seul le pire usage qu’on puisse faire de la montagne.
Et voilà pourquoi tous ceux qui thésaurisent, trient, accumulent sans raison, tous ces « collectionneurs qui collectionnent pour collectionner », comme disait Cendrars, me mettaient si mal à l’aise depuis quatre décennies. D’avoir compris cela aujourd’hui me soulage d’un grand poids…
Post-scriptum
Ce qui précède n’est qu’un « teaser » destiné à introduire le thème multiforme et passionnant de la COLLECTION, sur lequel le trio A. C. E. commence tout juste à travailler. Rendez-vous dans les prochaines semaines pour connaître le produit de nos recherches et doctes réflexions.
La photo de l’orchis vanille est sur :
http://www.djibnet.com/photo/schweitz/orchis-vanille-gymnadenia-rhellicani-4819300222.html